Une solution qui soulève l’attention
- Cloé Bouchard
- Dec 10, 2019
- 7 min read
Updated: Jan 23, 2021
Cela fait déjà deux ans que les inondations printanières rendent visite aux Gatinois et renversent leur quotidien. Ces mésaventures causées par la nature font beaucoup jaser. Bien que certains essaient de comprendre pourquoi elles se déroulent, les sinistrés se demandent toujours quelles solutions entreprendre pour affronter les possibles inondations futures.
Carte interactive des inondations à Gatineau : Zone d'Intervention Spéciale modifiée
La question se pose : Et si on soulevait une maison?
Si certains sinistrés soulèvent leur maison, les coûts en mesure d’urgence diminueraient pour la Ville de Gatineau. Lors des inondations en 2019, la Municipalité a dépensé 1 004 800 $ en sacs de sable, 1 259 200 $ en location d’équipement et de machinerie, et un total de 1 380 200 $ pour des matériaux (sable, gravier, divers matériaux, etc.). La Ville n’aurait également pas à dépenser un total de 2 392 000 $ en hébergements temporaires pour les sinistrés puisque si l’eau n’atteint pas la nouvelle hauteur de la maison, celle-ci est toujours habitable.
Depuis les crues printanières de 2017, Gatineau a versé plus de 17,4 millions de dollars en dépenses d’urgence. De plus, dans un document fourni par le ministère de la Sécurité publique du Québec, il est indiqué que la Ville de Gatineau a versé plus de 81 millions de dollars en aide financière à la suite des inondations de 2017. En ce qui concerne l’aide financière pour les crues printanières de 2019, il est dit que jusqu'à présent, la Ville a déboursé plus de 8 millions de dollars.
Néanmoins, il reste à confirmer si soulever les maisons pourrait possiblement apaiser les dépenses à long terme de la Ville et celles des sinistrés. D’un autre côté, si certains soulèvent leur maison sur des piliers ou décident de l’immuniser, celle-ci serait protégée davantage contre les inondations. Ainsi, la Ville de Gatineau et la province n’auraient pas à dépenser autant de fonds d’urgences.
En 2017, à la suite de l’ouragan Harvey, à Houston dans l’État du Texas, plusieurs citoyens ont décidé de soulever leur maison. Les victimes aimaient bien leur communauté et ne comptaient pas déménager. Ce n’était pas leur première fois. Elles ne voulaient plus se soucier des ruines des prochaines inondations possibles et c’est sans doute pourquoi des résidents ont décidé de passer à l’action.
« Soit qu’on avance ou on abandonne tout » Cathrine Bellefeuille, sinistré
Yves et Catherine Bellefeuille ont toujours souhaité vendre leur maison en ville afin de vivre leur retraite dans leur chalet situé à Waltham, au Québec. Par contre, à la suite des inondations printanières en 2019, leurs plans de retraite ont « pris le bord ». C’est ainsi que Catherine et Yves décident de ne pas abandonner et trouver une solution. En ayant vu ceci en Floride, le couple a choisi de soulever leur chalet sur des piliers.
Photos : Catherine Bellefeuille
Le couple a investi plus de 100 000 $ afin de soulever son chalet de plus de 2 mètres. Sans compter qu’ils estiment débourser 75 000 $ en rénovation pour réparer les dommages des inondations ainsi que ceux causés par le soulèvement. Lors d'une entrevue téléphonique, avec confiance et soulagement, le couple a souligné, « nous ne regrettons pas notre décision. Nous sommes contents d’avoir fait ça. Nous même on a eu la chance de rajouter des pièces à notre chalet. La vue de mon chalet est plus belle que jamais! ». Les Bellefeuille ont su retrouver du bonheur dans ce malheur même si le gouvernement du Canada n’a pas voulu les aider financièrement.
Un entrepreneur général explique le processus
François Asselin, entrepreneur général à son compte pour Construction et rénovation JES, a déjà soulevé des maisons. Dans l’extrait audio ci-dessous, celui-ci explique le processus et suggère aussi des solutions afin de minimiser les dommages causés par les inondations. En ce qui concerne le coût du projet, l’entrepreneur général précise que tout dépend de la situation du terrain : « les prix varient. C’est du cas par cas ».
« Mes plans sont tombés à l’eau » - Marie-Josée Goulet, sinistrée
Marie-Josée Goulet habite sur le boulevard Hurtubise à Gatineau, devant la rivière des Outaouais depuis 6 ans. En raison d’une situation personnelle, celle-ci comptait mettre sa maison sur le marché, mais tout est « tombé à l’eau » au printemps 2017.
Lors des crues printanières en 2017, le sous-sol de Marie-Josée a été inondé sous 2 mètres d’eau. Les inondations ont endommagé sa fondation. Elle n’a pas eu le choix d’agir en immunisant sa maison pour être en mesure d'instaurer une nouvelle fondation. Dans un échange courriel, Mme Goulet a mentionné que sa fondation a dû « être hydrofuge » puisqu’elle habite dans une zone inondable.
Elle n’a donc pas eu le choix de « couler une dalle de béton de 10 pouces, insérer une membrane puis couler un autre 4 pouces. Les murs sont 10 pouces au lieu de 8 pouces ».
Photos : Marie-Josée Goulet - Inondations 2017 (photos 1 à 7) et 2019 (photos 8 à 14)
Toutefois, au printemps 2019, il y a eu une infiltration d’eau. Mme Goulet a changé ses pompes et son système de drains français, elle a installé un nouveau puisard ainsi qu’un système de trois pompes. Celle-ci a également souligné que le MSP du Québec « a fourni 90 % des coûts éligibles » pour les dommages en 2017 et 75% en 2019 pour son logement locatif (volet entreprise).
La sinistrée a immunisé sa maison, mais les inondations ont à nouveau gagné. Elle se croise les doigts et espère ne pas avoir à affronter d’autres inondations.
Inondés par le stress
Le printemps est le temps de l’année où il y a un « déjà vu » plutôt déstabilisant. En effet, pour les sinistrés des inondations, c’est la saison où l’angoisse et le stress surmontent à nouveau.
Durant une entrevue, Christelle Ichier, travailleuse sociale, affirme que: « Les inondations causent beaucoup de stress aux gens. Certains deviennent dépressifs, même un an après les inondations ». Marie-Josée Goulet et Carole Monette, une victime qui vit dans le secteur du Fer-à-Cheval, sont toutes les deux d’accord que « tout ça [les inondations] n’est pas facile ».
Lors d’une entrevue, une sinistrée s’est vidé le cœur en expliquant la lourdeur qu’ont apportée les inondations. Cette victime, qui préfère garder l'anonymat pour ne pas rendre public ses défis, vit depuis plus de 35 ans dans le secteur de Pointe-Gatineau. Elle a vécu les deux inondations avec peine et misère. En faisait référence aux crues printanières et ses répercussions, elle a mentionné que « ce n’est pas une vie ça! C’est une existence plate! ». La sinistrée continue et évoque avec tristesse et colère : « Je ne dors plus, c’est simple! Je fais des crises d’anxiétés quand il pleut. Le printemps arrive dans 4 mois et je stresse déjà. Réalisez-vous? Mes frères ont quitté leurs familles et ont arrêté leur vie pour venir m’aider! Une chance qu’ils étaient là ».
« En 2017, j’ai eu 8,5 pieds d’eau dans mon sous-sol! Aujourd’hui, je n’ai plus de cave. Elle n’est plus utile! J’ai tout perdu! Mes albums photo, ceux de mes parents, mes grands-parents [...] ma salle de jeux, mon atelier de bricolage [...]. C’était ma vie, et maintenant je n’ai plus de passe-temps. » - Sinistrée de Pointe-Gatineau.
La valeur des maisons part avec le courant d’eau
Marie-Josée Goulet, Carole Monette ainsi que la sinistrée de Pointe-Gatineau sont toutes frustrées que la valeur de leur maison ait diminué. Aucune d’entre elles ne souhaite déménager, puisqu’elle perdrait trop d’argent, et comme Carole Monette l’a dit, « nous sommes vraiment bien ».
La sinistrée de Pointe-Gatineau a mis en lumière une triste réalité qui touche plusieurs sinistrés : « J’aime mon voisinage, mais je veux tellement m’en aller, ce n’est pas drôle. Je ne peux plus exister comme ça. La seule raison pourquoi je suis encore ici est à cause que je ne suis pas riche. Je suis à la retraite. Je n’ai pas l’argent pour abandonner ma maison et la détruire ».
Mathieu Arsenault, courtier immobilier pour Remax depuis plus de 17 ans, a souligné lors d’une entrevue téléphonique qu’effectivement, la valeur des maisons a baissé et ne pourrait pas être augmentée même si de grosses rénovations étaient faites. D’ailleurs, il a raconté qu'un de ses clients avait déboursé une grande somme d’argent afin de réparer les dommages. M.Arsenault a souligné qu’avec les rénovations effectuées, la valeur de l’immeuble revenait à 415 000 $. En revanche, puisque le bâtiment est situé dans une zone inondable, celui-ci a été vendu à 270 000 $. Avec sympathie, le courtier immobilier dit : « le vendeur a perdu beaucoup ». Ainsi, tout en restant optimiste, mais réaliste pour les sinistrés, il indique que les maisons dans les zones inondables sont « vendables, mais à quel prix ? ».
Dominique Laframboise, courtière immobilière pour Sezlik, partage son avis sur le soulèvement d’une maison. Celle-ci indique par échange courriel que « cela peut être une bonne solution, mais ce n’est pas tout le monde qui voudrait acheter une maison soulevée et située dans une zone inondable ». Elle continue en mentionnant qu’elle ne pourrait pas dire si soulever une maison, dans une zone inondable, pourrait aider à augmenter la valeur. Dominique Laframboise conclut en disant que « tout dépend des acheteurs et seul le temps le dira ».
Les deux côtés de la médaille
Il n’est pas surprenant que ceux touchés par les crues printanières aient dû payer une grande somme d’argent afin de réparer tous les dommages. En 2017, la sinistrée de Pointe-Gatineau a dit d’avoir payé 70 000 $ en dommages. Par contre, le MSP du Québec lui a offert 35 000 $ en aide financière. Elle poursuit en mentionnant qu’elle soulèverait sa maison, à la condition que le MSP du Québec paye. Sinon, pour les inondations plausibles dans l'avenir, elle sera « cuite » ,puisque financièrement, elle ne pourrait pas payer pour ce projet.
Compte tenu de ce qui précède, les assurances maison de tous ont augmenté. Cela inclut ceux qui n’habitent pas dans une zone inondable. Joseph Kouri, conseiller financier de la firme d’assurance The Co-operators, a mentionné l’augmentation des primes des assurances maison. Sans trop en dire, l’assureur a vaguement indiqué que dans la région de Gatineau, les assurances ont augmenté d’environ de 15 à 20 % pour certains, tandis que pour d’autres, elles ont augmenté de 30 à 50%. Il a poursuivi en précisant que les assureurs ont dû augmenter leurs prix, puisque les inondations leur coûtent très cher.
Une idée qui prend le bord ?
Soulever une maison est un grand projet et une question qui reste à se poser. Bien que cette solution diminuerait les dommages à la suite de futures inondations, ce n’est pas tout le monde qui est comme les Bellefeuille et en partie comme Marie-Josée Goulet.
À l’inverse, certains, tout comme Carole Monette et la sinistrée de Pointe-Gatineau, ne veulent pas soulever leur maison étant donné que ça leur coûterait cher et qu’ils ont déjà entrepris des mesures de préventions pour les années à venir. C’est-à-dire, Carole Monette et son conjoint ne vont pas « [protéger] leur garage. [Ils vont] plutôt cimenter jusqu'à la hauteur de l’eau pour diminuer la pression. [Ils] n’auront plus besoin de sacs ». À l’inverse, la sinistrée de Pointe-Gatineau planifie couvrir les fenêtres de son sous-sol à l’aide de divers matériaux. Celle-ci est réaliste en soulignant qu’elle « a beau à tout faire afin de protéger [sa] cave, mais il y aura toujours un peu d’eau qui va rentrer ».
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